Un air de Péloponnèse (Cargèse - 20/10/2013)

par A et G  -  20 Octobre 2013, 22:00  -  #Carnet de route

Qui s'y frotte... 

    Moment de baignade, plage du Grand Capo. En cette fin octobre, les touristes sont rares, mais la température de l'eau est encore vraiment douce. Pas assez cependant pour me convaincre d'y tremper davantage que les orteils. En revanche, miss A tente quelques brasses. Brèves. Un cri : « J'ai reçu comme une décharge ! » Tel un maître-nageur frileux, je garde mon poste et reste dubitatif : « Mais non, il n'y a rien ». Les seuls animaux que je vois à l'horizon sont des mammifères, de l'espèce naturiste plus précisément. Et pourtant, c'est bien une méduse qui s'est éprise d'un de ses mollets : les petites plaques rouges ne permettent pas d'en douter. Ce n'était donc pas un ragot... que celui de cette méduse !

FRAcor9Le long de la plage du Grand Capo, dans l'anse de Minaccia

FRAz2Le golfe d'Ajaccio vu depuis le balcon de notre chambre, au-dessus de la route des Sanguinaires (AD)

Chez les Grecs

    En fin d'après-midi, direction le nord. Routes tortueuses, cols escarpés. Nous parvenons enfin à Cargèse (Carghjese, en corse). Surnommée la ville grecque, elle se situe sur un promontoire délimitant au septentrion le golfe de Sagone. Calme et reposante, elle étale ses ruelles en pente le long d'une colline qui vient s'enfoncer directement dans la mer. Nous suivons une chaussée étroite qui descend en zigzaguant dans une forêt de figuiers de Barbarie. Tout en bas, un charmant petit port où il fait bon déguster un café. Et qui invite à un regard en arrière.

FRAcor10Le golfe de Pero au nord de Cargèse, avec en fond, de gauche à droite : la pointe d'Omigna avec sa tour génoise, la "Punta Nera" d'Orchino, la plage de Pero

    En 1670, bien loin d'ici, les Ottomans occupent le Magne, une région au sud du Péloponnèse. Désireux de fuir cette invasion, les Grecs de l'actuel village d'Oitylo se magnent de demander l'asile à la puissante république de Gênes. Cette dernière ne se gêne pas pour faire traîner les négociations. À cette époque, on ne parle pas de programme « pétrole contre nourriture » : le deal tourne autour de la concession de terres en échange d'une fidélité totale à la Superbe.

FRAcor11La mairie de Cargèse, avec sur sa droite une plaque en l'honneur de son jumelage avec la petite ville d'Oitylo 

FRAcor12L'église latine s'élevant au-dessus des jardins

    En 1675, Gênes finit par offrir aux Grecs errants le territoire inhabité de Paomia, dans l'arrière-pays de Sagone. Huit-cents d'entre eux débarquent ainsi dans la capitale ligure début 1676, avant de s'établir ensuite sur leurs nouvelles terres corses. En bons Hellènes qu'ils sont, ils s'empressent de planter vignes et oliviers... sous le regard hostile des locaux, éternellement en lutte avec la Superbe. Jaloux de la prospérité naissante de ces exilés qui pourtant leur ressemblent, les montagnards voisins multiplient les attaques contre la colonie de Paomia (1715, 1729). En 1732, les Grecs sont ainsi contraints de se réfugier à Ajaccio, où Gênes à nouveau leur trouve un peu de place. À défaut de vignes, ils y plantent une chapelle, qui toujours dresse aujourd'hui fièrement son orthodoxie sur la route des Sanguinaires.

FRAcor13Face à face, de gauche à droite, l'église latine et l'église grecque 

FRAcor14La pointe de Cargèse fermant le golfe de Sagone, vue à la tombée du jour depuis la pointe Molendino

    En 1768, la belle ligure perd de sa... superbe. Ruinée, elle cède la Corse à la France, qui dans la foulée fait un geste en cédant aux Grecs le territoire de Cargèse (en compensation de la perte de celui de Paomia), et en y faisant construire des maisons et une église de rite oriental. Quelques dizaines de familles s'y installent en 1774. Las pour elles, les corses poursuivent leurs attaques, et s'ensuit une série d'allers-retours entre Ajaccio, ville plus sûre, et la colonie hellène, qui se dépeuple de plus en plus. Les Cargésiens formèrent ainsi une communauté très spécifique ; bien que complètement intégrés (et mélangés) aujourd'hui, ils conservent quelques éléments d'une culture façonnée par leur passé mouvementé.

Paris, le 28/10/2013 (GG)

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