Un beau point de chute (Livingstone - 19/07/2012)
Feedback (17/07)
La chronologie du récit m'oblige à effectuer un petit retour en arrière. Sept heures de bus, non dénuées d'intérêt, ont en effet été nécessaires pour couvrir les 470 kilomètres qui séparent Lusaka de Livingstone... Rembobinons donc pour reprendre le fil au 17/07.
Notre chalet au "Jollyboys Backpackers" de Livingstone, un coin sympa
Le pasteur
Dès les premières heures du matin, notre départ de la gare routière de la capitale nous offre un spectacle à la fois cocasse et fascinant. Quinze minutes durant, un jeune pasteur charismatique, vêtu d'un impeccable costume deux-pièces en velours marron, associé à une élégante chemise mauve, nous fait un sermon magistral ! Bible en main, parcourant l'allée centrale de l'autocar, il enchaîne les prières par cœur, donnant pour les passagers souhaitant lire en même temps les numéros de chapitres et de versets. La voix est claire et puissante, chacun baisse la tête et rentre dans son siège.
Voilà donc un magnifique cours de diction en version anglaise... qui a un prix, puisque l'honorable ecclésiastique n'oublie pas, avant de descendre au niveau des faubourgs de Lusaka, de faire la quête. L'argent véhiculerait-il mieux la foi jusqu'aux cieux ? Toujours est-il que, sans doute désireux d'arriver en un seul morceau à bon port, la majorité des passagers glisse un billet à l'intérieur de la petite enveloppe beige qui leur est tendue. Pas de doute, les missionnaires protestants de la fin du XIXème siècle et du début du XXème sont passés efficacement par là... De notre côté, ce que nous retenons, Asuka et moi-même, c'est que « the road to Livingstone is the Way of Jesus » (« la route qui vous mène vers Livingstone, c'est la voie de Jésus »). Cela tombe bien, c'est là que nous nous rendons (mais je suis quand même inquiet pour ceux qui se rendent à Chipata, vers l'est, ou encore à Ndola ou à Kitwe, vers le nord...) !!
Le pasteur :
(NdT : voilà un son qui aura son importance dans un futur article...)
La route du sud-ouest et la découverte de Livingstone
La route, assez plate, longe presque tout du long la voie ferrée, qui pour sa part ne sert plus guère. Les villages, composés de huttes souvent arrondies, sont assez rares. La savane domine le paysage. Parfois, des champs de maïs ou de cannes à sucre rompent la monotonie. Quand nous stoppons dans une bourgade, ce qui frappe le regard, c'est la gaieté des couleurs. Un Matisse africain a usé de sa palette et de ses pinceaux pour redécorer la plaine. Plus prosaïquement, une lutte féroce entre les différents opérateurs locaux de téléphonie se trame sous cette surenchère arc-en-ciel. Sans doute chaque commerçant reçoit-il le matériel nécessaire à la remise à neuf de sa façade : un rouge flambant, ou encore un jaune tape-à-l'œil, un gros logo en lettres blanches ou noires, et voilà un coup de pub à moindres frais. Mais du plus bel effet !
Village le long de la route, entre Lusaka et Livingstone
Fondée en 1905, la ville de Livingstone fut, au temps de la colonisation britannique, la capitale de la Rhodésie du Nord de 1911 à 1935, date à partir de laquelle elle fut supplantée par Lusaka (qui resta capitale lors de l'accession de la Zambie à l'indépendance en 1964). Dans la commune, la vie s'articule autour de la Mosi-oa-Tunya Road, sillonnée de taxis bleus. De part et d'autre, les vendeurs ambulants (brochettes, portables, chaussures d'occasion, bananes, pommes et surtout tomates...) voisinent avec banques, commerces et restaurants rapides locaux (tels « Hungry Lion » ou « Wonderbake »), sans oublier l'incontournable « Shoprite » (chaîne de supermarchés sud-africaine, largement implantée en Afrique australe).
Façades colorées dans Kuta Way Road, à Livingstone ;
en tant que point d'accès aux chutes Victoria, la ville est la capitale de l'aventure
en Zambie, offrant de multiples occasions de sensations fortes
Passage à l'office de tourisme. Une salle vitrée, immense et lumineuse. Deux hôtesses, chacune derrière son bureau :
« Vous avez une carte de Livingstone ?
- Oui, bien sûr, affirme notre interlocutrice. »
Elle jette un œil sur son bureau, ouvre un tiroir, fouille soigneusement, et s'excuse avec un sourire : pas de carte, pas de dépliants non plus. L'Afrique...
Au marché d'artisanat, le cuivre, fleuron de la Zambie, est à l'honneur, avec les tissus et les sculptures en bois, en os, ou en pierre du fleuve. Mais c'est dans les petites rues adjacentes que la ville révèle tout son charme. Le soleil couchant, tendrement, vient caresser de ses rayons les façades colorées, où se mêlent influences coloniales et africaines. Non loin, de nombreux étals proposant sacs à main ou couvertures complètent le décor.
L'heure de la pause, sous un papayer
Des chutes... bruyantes ! (19/07)
Après avoir découvert les chutes Victoria côté zimbabwéen, nous nous apprêtons à en faire de même côté zambien. Inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1989, ce joyau de la nature doit son nom à l'explorateur David Livingstone, qui décida d'honorer sa reine à travers cette appellation. Si la vue est réputée moins spectaculaire chez lez Zambiens, le site permet en revanche de s'approcher au plus près du tumulte de l'Eastern Cataract...
La passerelle dite "knife-edge bridge"
Photo de famille !
Une fois sur place, nous démarrons notre matinée par un chemin panoramique. A notre droite, les gorges du Zambèze se laissent admirer, sous des angles sans cesse différents. Nous ne sommes qu'à quelques centaines de mètres du début des chutes, mais déjà, l'influence du micro-climat offert par celles-ci ne se fait plus ressentir : le vert a cédé la place au jaune, les branches sèches craquent sous nos pieds. Assis sur une table de pique-nique, un babouin lèche précautionneusement une plaie sanguinolente sur son épaule. Pas étonnant : les locaux utilisent régulièrement des lance-pierres pour dissuader les velléités chapardeuses de ces singes, parfois agressifs.
Vue sur l'Eastern Cataract, le "Boiling Pot" et la première gorge ;
à gauche, le Zimbabwe, à droite, la Zambie
Ce babouin n'a pas hésité à renverser cette poubelle pour lécher la fin d'un pot de yaourt...
De temps à autre, comme par magie, un type sort d'un fourré, sans doute entré sur le site par un trou dans le grillage. Toujours le même leitmotiv : la vente de petits bracelets de cuivre, avec un « bon prix pour toi ». La veille, au Zimbabwe, nous avions déjà vécu une scène du même type, assez étonnante. Alors que nous nous promenions sur Zambezi Drive, sans avoir croisé le moindre souffle de vie humaine, deux jeunes gens avaient jailli de derrière quelques arbres, statuettes en main. L'un d'eux avait entamé le dialogue, en me présentant deux ouvrages en bois d'une cinquantaine de centimètres chacun : beau travail, finition parfaite.
« Elles sont belles, tes chaussures, je te les échange, propose-t-il.
- Mais j'en ai besoin pour marcher, lui dis-je, en me souvenant qu'ici, le troc est encore monnaie courante, d'autant que l'accès aux denrées est souvent difficile pour les populations locales.
- Ah, répond-il dirigeant ses yeux vers mes jambes, alors ton pantalon ?
- Euh... Pour revenir en Zambie, je vais faire comment ?... »
C'était d'autant plus surprenant que je portais un pantacourt de dix ans d'âge, sali d'avoir couru les chemins, et que le type faisait une tête de plus que moi (ça lui aurait fait au mieux un bermuda...). Un temps découragé, il était revenu à la charge :
« J'aime tes lunettes de soleil !
- J'en ai besoin aussi !
- Seulement quinze dollars alors, suggère-t-il, changeant de stratégie.
- Mais je ne négocie pas, je ne peux de toute manière pas ramener cette statue. Elle est jolie mais trop grande pour nos sacs à dos...
- Dix dollars (NB : c'est peu en comparaison de l'objet mais assez conforme aux tarifs pratiqués dans la région, car le niveau de vie y est extrêmement faible, et la concurrence en matière d'artisanat féroce, chacun sachant plus ou moins se servir habilement de ses mains).
- Non !
- Bon, alors, on oublie la statue et donne-moi un dollar, juste pour m'aider... Il n'y a pas beaucoup de touristes en ce moment ! »
Certes, la politique de Mugabe depuis une dizaine d'années n'a pas aidé à l'afflux de touristes aux Zimbabwe... J'adresse malgré tout au vendeur une fin de non recevoir. L'objet est trop gros et lourd pour être porté tout notre séjour, et il ne passerait certainement pas les douanes sans taxe supplémentaire. Par ailleurs, nous évitons toujours de céder à la mendicité, même lorsque les situations nous rendent le cœur gros : elle fait beaucoup trop de dégâts, particulièrement ici... En mal d'arguments, le jeune homme abandonne, d'autant que nous arrivons au pied du Big Tree, veillé par la police touristique ! L'Afrique, parfois, que d'énergies en mal d'avenir !!!
"Toi aussi, tu sauras bientôt renverser les poubelles comme papa et maman !!"
Avantage de la partie zambienne des chutes : on peut descendre jusqu'au fond des gorges, ce qui est inenvisageable en face. Pour y parvenir, un chemin abrupt s'engage entre deux falaises. De suite, la végétation change et se fait jungle. Davantage d'eau, davantage d'ombre ; bref, davantage de vie. Après 80 mètres de dénivelé, je peux enfin toucher les eaux du Zambèze. Le lieu est magique, propice à la méditation. La majorité des touristes, n'ayant pas le courage d'affronter le raidillon promis au retour, ne s'aventurent pas jusqu'ici. Du coup, le calme règne, seulement troublé par les cris des fous d'adrénaline s'élançant en saut à l'élastique du Victoria Falls Bridge voisin, ou par l'infernal ballet des hélicoptères, lorsqu'ils tournoient au-dessus du pont (une des prestations principales du coin : le survol des chutes, contre un beau montant de dollars...).
Retour de la végétation tropicale lors de la descente vers le fond des gorges du Zambèze
Le Victoria Falls Bridge depuis le fond de la deuxième gorge (Asuka)
Le pont frontalier Victoria Falls Bridge est un des plus spectaculaires du monde :
voulu par Cecil Rhodes qui désirait y faire passer la ligne de chemin de fer
devant relier Le Cap au Caire, il est bâti au niveau de la deuxième gorge
en aval des chutes et fut mis en service en 1905
Nous nous dirigeons enfin vers le cœur des chutes. C'est une vraie douche que nous recevons sur nos têtes lors du passage sur le « knife-edge bridge », une passerelle métallique construite afin de franchir une immense faille dans le roc. Au-delà de celle-ci, un chemin détrempé longe une multitude de points de vue, bordant le vide. Sujets au vertige, abstenez-vous !
Flirt avec le vide face à l'Eastern Cataract
Le "Boiling Pot"
En un gigantesque grondement d'orage, l'Eastern Cataract s'élance dans la brèche, quasiment à portée de main. Si elles ne représentent qu'une petite partie des 1700 mètres de cascades, leur puissance est gigantesque. Ici, tout n'est que bruit et fureur. Une brume mouvante de gouttelettes en suspension remonte du gouffre, pour s'élever vers le ciel. Les vêtements collent à la peau, la vision est en permanence brouillée. Pas de doute, les tribus locales avaient fait preuve de bon sens en dénommant les chutes Mosi-oa-Tunya, « la fumée qui tonne ».
Livingstone, le 19/07/2012
Guéno