Mission Huatajata, semaine 4 : nuages noirs (18/06/2011 - Huatajata)
Chaque journée qui passe, la fraîcheur s'installe davantage et le soleil ne parvient plus à réchauffer les corps comme il le faisait il y a encore peu de temps. Chaque nuit, notre chambre ressemble davantage à un réfrigérateur... Au-delà de ces considérations météorologiques, cette quatrième semaine sera pour nous assez calme sur le plan du travail fourni, car les changements apportés précédemment commencent à porter leurs fruits. En revanche, elle sera aussi synonyme de désillusions. Retour donc en quelques lignes sur les principales anecdotes.
Asuka, bien studieuse, prend le soleil devant le restaurant
La Bolivie : un décor de rêve pour une poubelle à ciel ouvert ? (13/06)
Lundi : les chauffeurs ont décrété ce jour un blocus de La Paz. De nouveau, on verra peu de véhicules circuler vers Copacabana... Dans l'après-midi, je suis témoin et complice bien malgré moi d'une scène hallucinante. En tant que seul détenteur du permis disponible à ce moment-là, je suis « réquisitionné » pour conduire le pick-up. Mission : se débarrasser des poubelles du restaurant. Direction Huarina, au Sud. Au sommet d'une petite côte, on me fait stopper le véhicule. Tous mes camarades en descendent et jettent sur la droite, dans le champ en contrebas, l'intégralité des ordures contenues sur la plate-forme arrière. Ils ne sont pas les premiers, car l'endroit est parsemé de sacs plastiques s'accrochant désespérément aux herbes drues. Mais leur précipitation semble indiquer qu'ils ne sont pas à l'aise. Jhony m'explique : « C'est illégal, mais tout le monde le fait ! » « Ah, bon, je lui réponds, et où est la décharge ? » Réponse : « Ben, il n'y en a pas... » La Bolivie et ses paradoxes : alors même que l'hygiène et le traitement des déchets sont des problèmes majeurs ici, les autorités sanctionnent les rejets sauvages, mais n'ont pas pour autant prévu le ramassage des ordures ou l'installation de lieux officiels de collecte ! Charge à chacun de brûler ou d'enterrer ses immondices.
Le petit déjeuner - réunion du lundi matin (Asuka)
Conseil de classe et désillusions (14 et 15/06)
Mardi : je vis dans la matinée mon premier conseil de classe bolivien (les vacances d'hiver sont dans à peine dix jours). Les éducatrices et les représentants de l'ONG sont naturellement conviés à y assister et à participer. En effet, trente-cinq des cinquante-sept enfants de l'école appartiennent au foyer. Confortablement installés sur des bancs posés dans l'herbe de la cour, les professeurs réalisent tour à tour leur exposé, tout en profitant du soleil de midi. Mis à part les gamins qui se courent après autour de nous, et la petite Nataly qui fait toutes les dix minutes un aller-retour entre mes genoux et ceux d'Asuka, peu de différences avec ce qui se passe en France : une collègue présente son mal-être face au comportement de tel élève incontrôlable, un autre m'endort, un troisième affiche optimisme et sérénité... Chacun n'a pourtant que dix à douze enfants par classe (il ne s'agit pas d'une moyenne bolivienne, mais bien de l'exemple d'un milieu rural). Ce que je retiendrai, c'est l'exemple de l'albañil (le maçon), choisi par un enseignant : « Il y a un vrai souci avec les enfants qui n'apportent pas leurs affaires, vous devez faire quelque chose pour y remédier au foyer... Non, parce que vous comprenez, prenons le cas d'un maçon qui arriverait sur son chantier sans son niveau à bulle et sans sa truelle, il ne pourrait pas travailler. Et bien pour un élève c'est la même chose s'il n'a pas ses affaires ! » Cela me rappelle bien des choses... Un moment d'anthologie !
En voilà une qui n'est pas encore en âge de fréquenter l'école !
Ces sourires mis à part, cette journée est plutôt synonyme pour nous d'un grand pas en arrière. Au dernier moment, le directoire européen de l'ONG s'oppose à la vaccination systématique qu'Asuka avait lancée. Nous devons donc annuler pour ne pas mettre en porte-à-faux le personnel local, alors que tout était organisé pour l'après-midi (et cela n'avait pas été si simple !). Pourtant, l'Etat bolivien lui-même mène en ce moment des campagnes de sensibilisation et finance ces vaccinations (il suffit de réaliser une demande officielle). Dès lors, les raisons invoquées par la fondation nous paraissent bien obscures : les mots « lobby pharmaceutique », « effets indésirables dangereux » ou encore « non demande de la part des volontaires de l'accord préalable par voie hiérarchique » (sachant que la plupart de nos tentatives d'établir le contact avec cette même hiérarchie se sont révélées infructueuses) sont prononcés... Effarant d'obscurantisme et de mauvaise foi ! Il ne s'agissait pourtant que du tétanos et de la fièvre jaune, dont l'ancienneté de mise en service et l'efficacité vérifiée devraient éviter ce genre de débats. A notre grand désarroi, la plupart des gamins ne seront donc pas protégés. Cela nous semble pourtant de la responsabilité des adultes auxquels ils sont confiés. Mais peut-être faisons-nous fausse route ? Premier accroc sérieux, en tout cas, d'une série de désaccords à venir. Ce qui ne m'empêchera pas d'initier en fin d'après-midi les enfants à de nouveaux jeux.
Une de nos photos préférées : Ocran et sa corde à sauter
Mercredi : on se risque pour la première fois à un court footing d'une dizaine de minutes jusqu'au foyer. Court, mais suffisant pour se souvenir que l'on ne se situe pas au niveau de la mer ! Journée sportive, puisque j'apprends à un des internes les joies de l'ultimate (sport collectif avec un frisbee)... après avoir remarqué que les couvercles des grosse boîtes de beurre volaient remarquablement.
En pleine souffrance dans la côte de Sankajahuira...
Lupalaya (16/06)
Jeudi : j'ai passé une nuit de chien à vomir dans le jardin et à courir aux toilettes. La suivante sera du même acabit. Seule consolation : c'est la première fois que je vois la belle lune argentée se refléter dans le lac à cinq heures du matin. Les joies d'une belliqueuse bactérie intestinale ! Résultat : impossible de manger, je suis d'une faiblesse affligeante malgré les matés de persil et de manzanilla de Jhony. Bloqué à ne rien faire, je laisse donc la parole à Asuka pour le compte-rendu de la journée que nous devions passer ensemble à quelques dizaines de kilomètres de là.
Alors que Guénolé est encore bien malade, je l'abandonne au matin, accompagnée d'Oscar et d'Ana, pour Lupalaya. L'association y finance, en collaboration avec la communauté locale, un internat. Le paysage, le long du lac, est magique : le calme des eaux, la majesté des montagnes et l'aridité de la campagne me bercent sur la route. Les cochons, moutons ou vaches semblent y être insensibles, obnubilés par leurs tristes pâturages étendus. Un virage à droite plus loin et apparaissent quelques eucalyptus, abritant le chemin menant au village. Nous dépassons des terrains de sport et nous stationnons dans une cour bordée par deux bâtiments : d'un côté, les dortoirs, et de l'autre la cuisine et les salles communes. Je ne vois ni douche ni toilette. Normal, il n'y en a pas ! Mais quelques pas de plus suffisent à me poser sur une plage de galets. Je regarde le lac, sa baie, le vent soufflant fort dans mes cheveux ; une quiétude qui ne saurait être dérangée par les moutons ruminant, les barques hésitantes ou les élevages de truites à l'horizon. L'éducatrice et la cuisinière nous font faire le tour du foyer puisque nous sommes là pour lister ce qui manque. Puis, en cinq minutes, nous allons à l'école afin d'y distribuer du matériel et d'y prendre en photo les enfants et leurs nouveaux cahiers. A midi, nous sommes gâtés. Nous savourons des ispis (petits poissons frits) ! Une marche digestive nous mène au sommet d'une petite colline. Nous affrontons de gros chiens et de terribles ovins, puis escaladons des cultures en terrasses, pour finalement admirer le bleu impassible du lac se lovant dans un nid de collines usées par le soleil trop puissant. De retour, la cañahua (boisson à base de quinoa moulue) nous désaltère. Nous quittons les enfants après avoir attribué à chacun un bonnet et une écharpe pour les vacances d'hiver.
La baie de Lupalaya
Vendredi : la matinée reste difficile, ma bactérie de compagnie ne semblant pas décidée à m'abandonner. Lors du repas de midi, je parviens pourtant à manger du bout des lèvres la soupe de Doña V. Remède miracle ? Toujours est-il qu'un peu plus tard, tous les troubles s'en vont aussi brusquement qu'ils étaient venus.
Le restaurant de la fondation (Asuka)
L'aide aux devoirs dans l'après-midi nous donne l'occasion de raconter une nouvelle anecdote. Samuel (bientôt douze ans) nous expose son problème de mathématiques : « Dans une classe de quarante élèves, quatre-vingts pour cent ont réussi leur examen. Combien d'élèves ont été reçus ? » Réponse : mille bolivianos (la monnaie locale)... Après avoir développé des trésors de pédagogie pour essayer de lui faire saisir qu'il y avait peut-être un souci dans les unités, restait à lui faire résoudre le dilemme. Une fois posé le produit en croix, nous croyons que le plus dur est fait. Manque de chance, la division semble être une notion très abstraite pour Samuel. Bien, essayons donc les tables de multiplication, comme ça, pour voir... Et là, c'est le drame : la même barrière infranchissable ! Les études en fait sont une vraie difficulté avec la plupart des enfants du foyer : il y a un énorme décalage entre les contenus qui leurs sont proposés (presque supérieurs aux programmes français pour une même classe d'âge) et leur niveau réel, d'autant que beaucoup ne sont scolarisés que depuis peu de temps. De plus, les mômes passent relativement peu de temps à l'école. Ils ont à peine quatre heures de cours, cinq fois par semaine. Selon les endroits, certains vont en classe le matin, d'autres l'après-midi ; mais jamais deux fois dans la même journée...
Mais que cherchent-ils donc tous ?
Le soir, c'est fête, un festin comme nous n'avons pas vraiment l'habitude ici pour le dîner (qui souvent ne consiste qu'en quelques tartines accompagnées de thé ou de chocolat à l'eau). Ceux qui sont partis faire le ravitaillement à la Paz – il n'y a presque rien à Huatajata – sont revenus chargés de victuailles... et d'une TV à écran plat.
Samedi, journée de repos pour tous. Une grosse pluie nous cueille au réveil. La première depuis que nous sommes arrivés au bord du lac. La région est en effet assez aride durant la majeure partie de l'année, exceptés les mois d'été austral. Cela ne nous empêchera pas de profiter des moments de calme qui nous tendent les bras.
Huatajata, le 18/06/2011
Asuka et Guéno
Vue sur le restaurant et sur le Lac Titicaca depuis notre chambre