Cuidado en el Este ! / Attention dans l'Est ! (06/04/2011 - Ciudad del Este)
D'Encarnación à Ciudad del Este, le ballet des vendeurs ambulants est incessant, ce qui ne nous déplaît guère et anime même notre trajet de plus de quatre heures. Pour le déjeuner, nous savourons des chipas moelleuses et tièdes. Un vrai plaisir !
Une situation particulière (05 et 06/04)
A l’entrée de la ville, nous sommes accueillis par de gigantesques panneaux « Todos contra la dengue !! ». Apparemment, cette maladie transmise par le moustique pose de réels problèmes ici. Cela promet ! Originellement appelée Puerto Flor de Lis, la cité fut rebaptisée Puerto Presidente Stroessner (en l'honneur du dictateur – pourtant natif d'Encarnación – qui terrorisa le pays durant plus de trois décennies), avant de devenir définitivement Ciudad del Este en 1989. Les hommes sont ainsi : il est plus facile de changer des patronymes que des mentalités ! Mais les rideaux que l'on tire se révèlent trop souvent n'être qu'écrans de fumée...
A Ciudad del Este, gigantesque supermarché à ciel ouvert,
la misère crache souvent son venin à la figure du voyageur
Deuxième ville du pays en population (plus de trois cent mille habitants), elle est entourée d'immenses plantations de soja (un commerce qui ravage la terre et contribue chaque jour à l'expropriation des petits cultivateurs) et se situe en aval du barrage d'Itaipú. Actuellement la seconde plus grande centrale hydro-électrique du monde (après celle, récente, des Trois-Gorges en Chine), cette retenue, une grande catastrophe écologique au moment de sa construction, est au cœur de l'actualité récente des journaux locaux. En effet, le président Lugo est parvenu à renégocier en partie (en 2009) le traité fortement désavantageux conclu avec le Brésil au temps où les deux pays vivaient sous des dictatures. Ce traité forçait le Paraguay à revendre à son grand voisin sa part de l’énergie produite mais non consommée, et ce à un coût dérisoire (sachant que les besoins paraguayens sont minimes). Ainsi, jusqu'à présent, le pays vivait un paradoxe aberrant. Bien qu’il fût l’un des principaux exportateurs mondiaux d’électricité (via aussi l’immense barrage d’Yacyretá, près d’Encarnación), il n’en tirait quasiment aucun bénéfice ! Et de plus, il peine toujours à répondre correctement à sa propre demande intérieure avec des coupures de courant fréquentes : non que la production soit insuffisante (loin de là !), mais à cause de lignes à haute tension de piètres qualités.
Enfin, Ciudad del Este est surtout réputée pour sa position de zone franche, à la croisée de trois Etats. Ainsi, les Brésiliens n'ont qu'à franchir le pont sur le Paraná pour s'affranchir d'une fiscalité désavantageuse, et acheter tout un tas de produits à meilleur marché (pour eux, car pour un Européen, les prix de l'électronique ne sont absolument pas intéressants !). Mais cette situation fait aussi de la ville une plaque tournante de tous les trafics imaginables, car la frontière y est aussi poreuse qu'une passoire... trouée. Selon de nombreuses sources, revente de marijuana (le Paraguay en est un des principaux producteurs en Amérique du Sud) et de cocaïne, contre-façon, fabrication de fausse monnaie ou de faux papiers d'identité, trafic d'armes, échange de voitures volées chez les voisins, blanchiment d'argent, prostitution, tout est présent à Ciudad del Este. Et toutes ces activités illégales, soutenues par des mafias du monde entier, sont d'autant plus florissantes que d'éventuelles volontés politiques pour les limiter risqueraient de porter un coup important au commerce local. Ce qui n'est manifestement dans l'intérêt de personne !
Vue sur le fleuve Paraná et Foz do Iguaçu depuis le côté paraguayen
Mais je préfère laisser la parole à Asuka pour décrire cette agitation toute "asiatique", ce monde du bruit et de la peur, tant elle a eu l'air d'apprécier cet endroit où l'on s'était égaré...
Slogan aperçu sur une banderole lors du trajet
entre Encarnación et Ciudad del Este (et revu par Asuka)
Bienvenue dans le monde moderne !
Dès la sortie du terminal de bus de Ciudad del Este, nous côtoyons la misère : de pauvres hères se partagent l’abri de quelques mètres carrés de cartons, au milieu d’une saleté infernale. Rien à voir avec le charme paisible d'Encarnación ; ici, buildings, trafics, magasins, enfants en guenilles et grosses Mercedes aux vitres tintées, tout se mélange. Au cœur du plus grand supermarché d'Amérique latine, il est difficile de trouver sa place. Le capitalisme est roi et la lutte pour la survie est à chaque coin de rue. Sous les enseignes chinoises dominant le commerce de l'électronique, des gamins, âgés de 6 à 9 ans environ, courent, habillés d'un T-shirt XXL dégueulasse, après des voitures de luxe, mendiant de quoi manger. Certains dorment près des guichets automatiques des banques, la tête rentrée dans leur vêtement, en position du fœtus. Tout ceci est bien rythmé par des agents de sécurité armés de fusils à pompe à l'entrée de chaque boutique. La mafia invisible est partout. L'injustice et l'inégalité sont omniprésentes. Le combat de Germinal garde tout son sens aujourd'hui encore, ici. La violence maîtresse des lieux est palpable à chaque instant. Tout va vite, tout s'agite et tout disparaît au coucher du soleil. Les gens crient, les gens vendent et les enfants supplient du regard. Les riches, étalant leur opulence, sont surprotégés, craignant la vengeance des pauvres sur le dos desquels ils se nourrissent. Ils gouvernent les marchés, emprisonnés par leurs dollars. Il est impossible d'apprécier cette ville où le sang et l'argent, la misère et la richesse se mêlent avec tant de haine, sans limite. Nous traverserons la ville d'un pas hésitant, titubant affolés par tant d'horreurs. « Homo homini lupus est » (l'homme est un loup pour l'homme) dixit Plaute (auteur de théâtre romain), rien de plus vrai dans cette jungle citadine où la loi du plus fort règne en permanence.
Ciudad del Este, le 06/04/2011
Asuka et Guéno
Dans la jungle urbaine...