A l'assaut du Pico Austria ! (26/06/2011 - La Paz)
L'ascension de ce jour n'est qu'un test, un entraînement avant celle du Huayna Potosí que nous avons planifiée pour bientôt. Elle va s'avérer pourtant l'une des plus belles randonnées réalisées depuis notre départ, en plein milieu d'une nature splendide et loin du tourisme de masse (en plus du guide, seul un Ecossais dynamique nous accompagne).
L'Altiplano et la cordillère (Asuka)
L'Altiplano
Après avoir quitté les faubourgs d'El Alto, le mini-bus bifurque soudain vers la droite, piquant directement vers les murailles noires et blanches de la Cordillère Royale. Sursautant sur un chemin de terre, le véhicule grimpe en pente douce, au creux d'une vallée désolée. Ça et là, quelques maisons d'adobe entourées de murets de grosses pierres viennent rappeler une présence humaine. Peu à peu, les herbages se couvrent de plaques éparses de neige, des stalactites gelées ornent les bas-côtés et la rivière est parfois obligée de se frayer son chemin sous une petite épaisseur de glace.
Chuños en train de sécher au bord de la piste, au cœur d'un paysage gelé
La route de terre poursuit son ascension. Les habitations se font rares et rudimentaires. Ici, on vit dans le dénuement le plus total, avec comme seule compagne l'immensité et comme confidents les troupeaux infinis de moutons ou de lamas. Après une heure de cahots, la piste vient buter contre un cirque sauvage. Au-dessus, le massif du Condoriri, avec ses treize sommets à plus de 5000 mètres, déploie ses ailes de roches. Il est en effet ainsi nommé car son pic principal, réputé difficile à escalader, ressemble à une tête de condor (Cabeza del Cóndor : 5648 mètres). Lorsque l'on se retrouve au bas de ces géants, menacé par leur ombre magnifique, nulle difficulté à comprendre pourquoi les Aymaras en avaient fait des dieux !
Au centre, la Cabeza del Cóndor, entourée de son Aile Nord et de son Aile Sud ;
tout à fait à gauche, notre objectif du jour, le Pico Austria
La piste s'arrête au pied d'un cirque de montagnes : ici vit une famille isolée,
à 4500 mètres d'altitude et à une heure de voiture de toute route goudronnée
En manque de souffle
Ici commence la randonnée. Une jeune cholita peu bavarde, native de cet endroit du bout du monde, nous accompagne. Luis, notre guide, nous explique qu'elle vient systématiquement, pour aider si jamais quelqu'un peine ou se blesse en route. Au premier regard, on doute un peu : petits souliers à semelles lisses, robe encombrante, chapeau blanc élégant et léger embonpoint. Voilà qui n'est pas très convaincant. Et pourtant !! Elle grimpe comme un chamois, sautant de pierre en pierre sans le moindre essoufflement : une vraie héritière des chasquis (messagers de l'Empire Inca). Avec affection, le guide la surnomme la « Condorita » et cela lui va comme un gant. Je dois moi-même me rendre à l'évidence et ravaler ma fierté : elle est imbattable, et si elle décide d'accélérer, elle peut sans difficulté dire au revoir à l'ensemble du groupe... Une fille de la montagne !
Nous débutons en tournant le dos à notre objectif, le Pico Austria. Nous remontons la rive gauche d'un torrent qui s'amuse à rebondir de pierre en pierre, et après quarante-cinq minutes d'élévation en pente douce, nous parvenons à la somptueuse lagune Chiarkhota (« lac noir », en aymara). Ses eaux bleues forment un miroir pour les sommets orgueilleux et immortels, dont les seules rides sont les avalanches dévalant des glaciers. Nous jouissons d'une vue à couper le souffle (comme s'il en était déjà besoin, à 4700 mètres...), dont profitent à loisir les andinistes installés sur la rive opposée, au camp de base du Condoriri, point de départ pour atteindre les cimes environnantes.
La lagune Chiarkhota
L'ascension se poursuit sur la gauche. Il y a d'abord une pente très raide à gravir, un vrai mur. Derrière moi, j'entends Asuka qui peine. Quand je me retourne pour l'encourager, je vois alors le Huayna Potosí pointer le bout de son nez, au-dessus des sommets venant fermer le cirque du Condoriri. Dans le ciel, un rapace nous survole, dessous blanc avec la tête encapuchonnée de noir. Avec humour, les locaux le surnomment l'ave maria (l'oiseau maria), étant donnée sa ressemblance à un moine. On atteint un premier palier relativement plat, puis il nous faut de nouveau repartir à l'assaut de la montée, en multipliant les courtes pauses pour respirer davantage. Au pied d'un gigantesque éboulis, nous déjeunons – que dis-je, nous dévorons ! –, les victuailles que Luis et Lourdes, la cholita, viennent de déballer sur une sorte de menhir (avocat, fromage, pain, jambon, fruits...).
Jambes lourdes et souffle court, avec en fond le bleu de la lagune
Asuka profite de la pause déjeuner pour dessiner...
... et voilà le résultat !
Lourdes et Luis préparant le déjeuner
Encore quelques efforts !
Une fois repus, nous reprenons la marche dans les pierres glissantes. Alors que la « Condorita » gambade de son côté, notre pas se fait pesant. En quarante-cinq minutes, nous parvenons à une sorte de col d'où nous tournons le dos au superbe glacier du Condoriri pour entamer la dernière partie de l'ascension. Nous sommes désormais à plus de 5000 mètres, les jambes sont comme du plomb, le cœur s'emballe et il devient plus difficile à chaque enjambée de s'arracher du sol.
Mais la récompense est au bout du chemin. Nous atteignons une ligne de crête, et dès lors, il n'y a plus d'obstacles pour le regard. Au-delà du vide qui s'étale sous nos pieds, nous pouvons admirer un panorama gigantesque. Immédiatement en contrebas, des lagunes éclaboussent de couleurs le jaune aride des contreforts de la cordillère. Plus loin s'étend l'Altiplano : à gauche, El Alto, à droite, le Lac Titicaca, dont on distingue jusqu'aux moindres détails. Au fond, les volcans à la frontière chilienne (le Sajama, point culminant de la Bolivie, et les Nevados de Payachata) prennent l'aspect de petits champignons blancs. Plus que quelques dizaines de mètres d'efforts enivrants et nous parvenons au sommet (5220 mètres), quatre heures après le départ (repas compris).
Le Huayna Potosí à gauche, le Lac Titicaca au fond à droite
Depuis le sommet, avec le massif du Condoriri en arrière-plan
Alors, Asuka, quelles impressions lors de cette ascension ? « Tout d'abord, cela ne me semblait pas trop dur, puisque la petite cholita gambadait allègrement. Mais peu à peu, j'ai manqué d'oxygène et j'ai été obligée de m'arrêter tous les dix mètres, ce qui a été vraiment pénible, malgré les splendides paysages et les messages subliminaux lancés au travers des regards des lamas ébahis. Les garçons étaient loin devant et je traînais : difficile pour l'ego de voir Guénolé déjà tout petit dans la montée. Mais j'ai pensé au Huayna Potosí et cela m'a permis de persévérer, bien que chaque pas semblait m'arracher les poumons. C'est donc un grand soulagement que d'arriver au sommet et d'y admirer la vue exceptionnelle. En bref : besoin d'air ! »
Asuka garde assez de lucidité pour crayonner le Titicaca depuis la cime
Un guide au sommet !
La descente est beaucoup plus rapide : une heure et demie seulement. Nous « skions » dans les éboulis et nous dévalons à flanc de montagne, puis nous faisons nos adieux à la « Condorita », avant de prendre la splendide route du retour. Epuisés, nous terminons cette belle journée autour d'un plat revigorant de spaghettis au pesto.
Lourdes dévalant la montagne
Caravane de mulets allant approvisionner les andinistes au camp de base du Condoriri
La Paz, le 26/06/2011
Asuka et Guéno