Fukuoka, des temples et du béton (Fukuoka, préfecture de Fukuoka, Japon)
Nous avons consacré ce dimanche à la découverte (ou à la redécouverte pour miss A) de l'énorme métropole qu'est Fukuoka (福岡市). Plus grande ville de l'île de Kyūshū, elle accueille en son sein environ 1,5 million d'habitants, et forme avec Kitakyūshū (sa voisine 40 kilomètres plus au nord), l'un des pôles industriels les plus puissants du Japon (construction automobile, acier). Porteuse d'une identité régionale forte, on peut d'ailleurs y entendre parler un dialecte local, le Hakata-ben. Comme si l'apprentissage du japonais « classique » n'était pas déjà pour moi une gageure en soi...
Longtemps, la cité fut séparée en deux : Fukuoka, la résidence seigneuriale, était bâtie autour du château, à l'ouest de la rivière Naka, alors que Hakata, sur la rive orientale, abritait les marchands et artisans. En 1889, les deux parties fusionnèrent, en prenant le nom de Fukuoka. Cependant, chacune des appellations reste encore d'usage, d'autant que Hakata est un quartier dynamique qui s'est énormément développé.
Au-delà des douves, une partie des ruines du Château de Fukuoka, avec la porte Shimonohashi et une tour de garde
Par ailleurs, il faut signaler que, de par sa situation géographique, la région a toujours été une porte sur l'Asie. Des échanges avec la Chine et la Corée du Sud ont ainsi été entrepris avant même l'époque Nara (VIIIème siècle), et la métropole conserve aujourd'hui un statut de carrefour commercial important.
De temple en temple
C'est autour de la grande gare de Hakata que nous effectuons l'essentiel de notre promenade du jour. Comme la plupart de ses homologues japonaises, la ville n'offre au premier regard que de grands immeubles gris et sans âme. Mais toujours, on finit par découvrir, enchâssés entre deux barres de béton, un parc débordant de verdure, un petit jardin zen, ou encore un sanctuaire shintō respirant l'harmonie. Havres de paix étonnants, où se marient le vert jade de la nature et l'orange braise des torii (portails traditionnels séparant l'enceinte sacrée de l'environnement profane).
Entre jinja (sanctuaires shintoïstes) et ji – ou dera – (temples bouddhiques), les lieux de culte, on en trouve même beaucoup ! À tel point que l'on finit par s'en lasser... Lors de la première rencontre, on s'étonne et on s'émerveille, en observant attentivement le manège des Japonais venus frapper dans leurs paumes devant l'autel d'une divinité quelconque. Les cinq visites suivantes, on compare et on essaie de comprendre ; à la dixième, on sature. Tous les temples finissent par se ressembler, surtout lorsque l'on ne possède pas les différentes clés de lecture.
N'ayant pas voulu rester complètement ignare sur la question, j'ai du coup essayé de réaliser une petite synthèse (simpliste) des croyances locales. Voici ci-après le résumé que je peux faire de mes dernières lectures sur le sujet, pour ceux qui, comme moi, ne sont pas très au fait des choses sacrées (en général), et envisageraient un voyage au Japon.
Qu'est-ce que le shintoïsme ?
Le shintoïsme (ou, littéralement shintō, « la voie des dieux ») est la religion la plus ancienne du pays. Elle est en ce sens particulièrement liée à sa mythologie. C'est une sorte d'animisme polythéiste, qui peut ressembler en bien des points à certaines croyances d'Afrique subsaharienne. Le shintō est ainsi une religion de communion avec la nature, où tout est sacré. Il considère comme divins aussi bien des forces sauvages (telles que les montagnes) que des objets, des animaux (le tigre, le serpent, le loup, …) ou encore l'Empereur lui-même.
En japonais, ces divinités s'appellent des kami. La plus importante d'entre elles, c'est Amaterasu, la déesse du Soleil (que l'on retrouve aussi bien sur le drapeau national que dans le nom du pays, l'Empire du Soleil-Levant). Il n'y a cependant pas de Dieu suprême et le ciel est seulement le séjour des kami. Ces derniers inspirent le plus souvent une crainte respectueuse : s'ils sont supposés intrinsèquement bons, on trouve de nombreuses exceptions... d'autant qu'on en dénombrerait plusieurs centaines de millions ! On les prie à des occasions variées : pour obtenir la pluie, de bonnes récoltes, de bonnes notes à l'école, une augmentation de son patron, …
Chōzuya (ou temizuya) du Sumiyoshi jinja : ce terme désigne le pavillon d'ablution destiné au rite de purification cérémoniel (o-harai), que l'on effectue à l'aide d'une louche (hishaku)
Le shintoïsme à travers les âges
On considère que c'est autour du VIème siècle de notre ère que le bouddhisme fut introduit au Japon, via les classes supérieures de la société nipponne. Cela eut une double conséquence : d'une part, un certain syncrétisme des pratiques shintoïstes et bouddhistes, d'autre part, une réaction nationaliste en faveur du shintō, destinée à renforcer l'identité nationale et la dévotion à l'égard de l'Empereur (constitution d'une mythologie et de rites officiels, prolifération de temples, …). Toute l'histoire religieuse du Japon navigua alors entre des mouvements contradictoires, tantôt en faveur du bouddhisme, tantôt en faveur du shintoïsme.
En 1868 (à l'époque Meiji), quand le Japon s'ouvrit à la civilisation occidentale, le gouvernement imposa la séparation entre shintoïsme et bouddhisme. Le shintō prit alors quatre formes distinctes : celui de la Maison Impériale, celui des temples, celui des sectes, et enfin le shintō populaire. Ces quatre formes s'entrecroisèrent alors, en constituant la base du système de valeurs du pays (nationalisme, impérialisme). Si la défaite de 1945 impliqua de réduire l'influence de la religion au sein de l'appareil d'État, les temples maintenant sont, malgré tout, toujours aussi prospères.
C'est quoi être shintoïste ?
De nos jours, la pratique du shintō ne sous-entend aucune croyance particulière, et n'est d'ailleurs nullement incompatible avec d'autres religions. Les Japonais ne gardent que bien peu de superstition pour les kami, mais la participation aux cérémonies diverses reste un ciment de l'unité et de l'harmonie nationales. Être shintoïste, c'est d'un certain côté se sentir membre de la communauté nipponne, c'est partager l'impression profonde d'appartenance à une culture ancienne. C'est donc plus la vie sociale que personnelle qui est imprégnée : pour preuve, des activités symboliques du pays telles que le sumō, le théâtre nô, ou encore les matsuri (festivals), sont directement liés au fait religieux. À noter que la mentalité shintoïste s'adapte très bien à la modernité japonaise : dans les deux cas, c'est la (sur)consommation qui est encouragée. Les talismans que l'on accroche dans les sanctuaires se monnayent parfois de manière onéreuse, et le respect des rites coûte cher, voire très cher, dans le cas du mariage traditionnel par exemple.
Et le bouddhisme dans tout ça ?
Pour être complet, il me faut ajouter quelques mots sur le bouddhisme nippon. Importé donc de Chine et de Corée autour du VIème siècle, il a assisté au cours de son histoire à l'introduction de nouvelles pensées, et a vu évoluer les doctrines déjà existantes. Tant et si bien qu'il existe aujourd'hui treize écoles principales du bouddhisme au Japon : parmi les plus connues, on peut citer le Shingon (l'école de la Parole vraie) ou encore les trois Écoles Zen, fondées sur la « méditation silencieuse » (Rinzai, Sōtō, et Ōbaku).
Sur ces bonnes... paroles, je vous laisse jusqu'au prochain week-end, où nous prendrons la direction de Nagasaki !
G / Iizuka, Japon, mars 2015