Pulau Sapi et ses monstres (PN Tunku Abdul Rahman, Sabah, Malaisie)
Objectif Pulau Sapi !
Afin de poursuivre notre découverte des environs, nous décidons de nous rendre dans le Parc National Tunku Abdul Rahman, un chapelet d'îles faisant face à KK. Pour cela, rien de plus facile : depuis le terminal de Jesselton Point, à l'est du centre-ville, il suffit d'une vingtaine de minutes seulement pour atteindre Pulau Sapi, l'île de la Vache, la plus populaire des cinq.
En cette période de vacances, le ponton grouille de touristes que de nombreuses compagnies se disputent. Nous en choisissons une au hasard. Le petit bateau à moteur file comme le vent. Régulièrement, la coque se soulève à l'avant, comme si nous allions décoller. Puis l'esquif finit par basculer brusquement, frappant les flots avec violence. Le skipper semble alors se régaler de l'effet – effroi ou sensations fortes –, qu'il provoque chez ses passagers ; je doute en revanche que ce soit le meilleur moyen pour rallonger la durée de vie de l'embarcation...
Tout au long de la traversée, Pulau Gaya, la plus grande île, nous accompagne à tribord. Verte, et sauvage.
Parc d'attractions et trail sauvage
À l'arrivée sur Pulau Sapi, petite déception. Le site est noir de vacanciers, Coréens et Chinois en particulier. Nous nous attendions à une certaine affluence, mais celle-ci dépasse nos pires cauchemars. Bref, il va bien falloir partager... La suite ne nous enchante guère davantage : restaurants et buvettes alimentés par un bruyant générateur, parasols colorés, … L'ensemble tient plus du parc d'attractions que de l'aire protégée (une sensation qui nous collera hélas régulièrement à la peau lors de beaucoup de nos tribulations sur Bornéo) !
Nous fuyons promptement la foule en nous engageant dans le sentier qui fait le tour de l'île. Nous parvenons rapidement au niveau du point terminal du Coral Flyer, une tyrolienne géante qui relie Pulau Gaya et Pulau Sapi, puis, celle-ci une fois dépassée, nous nous retrouvons immédiatement seuls au monde. Notre intuition était bonne : le baigneur est rarement un marcheur... Malheureusement, les rivages sont ici bien caillouteux et envahis de sacs et bouteilles plastiques. Comment tolérer une telle dégradation de l'environnement dans une zone classée « parc national », où de surcroît l'accès est payant, ce qui devrait en favoriser la préservation et l'entretien?
Cependant, à peine à quelques hectomètres de la plage envahie de vacanciers, la végétation qui nous enserre ici est déjà une véritable jungle. Sous ces latitudes, la nature fait vite valoir ses droits ! Touffeur infernale, lianes et racines entremêlées, odeur de vie pourrissante. Le chemin quitte les berges et poursuit sa trace dans la colline qui domine la petite île. Nous suons toujours plus à chaque pas, nous ahanons pour gravir de glissants raidillons, retrouvant ainsi le plaisir de fouler une terre quasi-originelle.
Alors que nous atteignons une crête, point culminant du lieu, le temps change brutalement : le vent se lève en tempête, le ciel s'assombrit comme l'enfer, les feuilles bruissent de manière angoissante. Et soudain, c'est un déluge biblique qui s'abat, typhon inattendu qui nous condamne à contempler la pluie de longues minutes sous un petit abri de tôle et de bois, opportunément bâti là, pour le plus grand soulagement des marcheurs égarés.
Mer chaude et patience
Retour sur la plage. En quelques minutes, les puissantes gouttes sont un lointain souvenir. D'énormes et placides varans (biawak, en malais), vestiges préhistoriques, se donnent en spectacle, plus ou moins parqués derrière une basse clôture.
Nous finissons par céder à la tentation et piquons une tête dans la mer : au cœur de la zone de baignade, nul poisson ne se laisse hélas admirer. Dans la région, la majorité du corail autour des îles, refuge protecteur pour la faune sous-marine, a été détruit par la pêche à la dynamite. Bien qu'illégale, cette dernière a été longtemps pratiquée, et semble-t-il le reste dans certains endroits. Elle consiste à bombarder une zone de mer, ce qui envoie une puissante onde de choc tuant la vie aux alentours : il suffit alors de récolter les poissons morts... Mais malgré le corail détruit, malgré la foule, l'eau est agréable, calme, chaude, apaisante.
Bientôt 16 heures, le moment convenu avec notre compagnie pour le retour sur KK. Sous le ponton les poissons dansent, bariolés. L'heure tourne, la plage se vide, les rotations des bateaux se font de plus en plus rares. Sous le ponton les poissons dansent. Notre rafiot n'est toujours pas au rendez-vous. Bientôt ne restent sur la petite île que nous et un couple d'Européens avec leurs deux enfants. Ces derniers jouent ; la femme panique, s'angoisse, s'énerve contre son mari, que va-t-on faire si l'embarcation ne vient pas ? Sous le ponton les poissons dansent. Le jour décline. Enfin, avec une heure de retard, notre skipper débarque, sourire greffé aux lèvres. Ce n'était pas si désagréable cette attente imprévue. Sous le ponton les poissons dansent, toujours, jusqu'à la nuit...
G / Bordeaux, décembre 2014